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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 21:17

J'ai déjà eu l'occasion de mentionner dans un article le vapeur  "Travailleur", navire à passagers, remorqueur occasionnel et successeur de la "Louise"  comme vapeur postal régulier entre Le Conquet, Molène et Ouessant.

Le Travailleur, construit à Brest en 1883 a appartenu à différents armateurs : Pennors, puis Peugeot et Cie et à partir de 1896 à la S.A des Vapeurs Brestois. Jauge 32 tx, machine de 45 cv à l'origine, remplacée par une plus puissante de 183 cv. Nombre de passagers autorisés : 250 en rade de Brest, 150 en mer. Le Travailleur a fini sa carrière en 1921.

  

  La mésaventure décrite ici est une compilation de différents articles du journal "Ouest-Eclair", ancêtre de "Ouest-France" dont la rédaction a mis en ligne sur Internet, les copies numérisées, pour le plus grand bonheur des chercheurs et historiens,

 

1/ Une excursion mouvementée à bord du Travailleur

 Ouest-Eclair du  mardi 15 juin 1909

Un vapeur échoué

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Le vapeur Travailleur un jour d'été à la cale du Fret en rade de Brest ( cp coll Jpc)

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Le Travailleur à Quélern en rade de Brest

 

  La Compagnie des Vapeurs Brestois qui organise tous les dimanches des excursions en mer, avait désigné le vapeur Travailleur qui fait actuellement le service régulier entre Ouessant et Le Conquet pour se rendre à l’île de Sein.

Le Travailleur était parti le matin avec 57 passagers et aucun incident n’était venu troubler la traversée. La journée avait été splendide, la mer aussi calme qu’elle peut l’être dans ces parages dangereux, et à 4 heures de l’après-midi, les passagers s’étaient tous embarqués à la cale de l’île pour regagner Brest.

Le pilote était monté à bord pour aider le navire à sortir des récifs qui forment une couronne autour de l’île, et une fois que le Travailleur se trouva à un mille au large, le pilote regagna son bateau et rejoignit la terre. Le capitaine venait de prendre la barre du gouvernail lorsque soudain, deux secousses violentes se firent sentir. Le navire venait de s’échouer sur une roche, et sa coque avait une large déchirure par laquelle l’eau entrait en abondance. La mer baissait en ce moment et il ne fallait pas songer à déséchouer le navire.

La situation était plutôt critique, et lorsque le capitaine ordonna de mettre les deux canots à la mer, un commencement de panique s’empara des passagers ;  tous se précipitèrent sur les deux embarcations, voulant de force y embarquer, et il fallut tout le sang-froid de quelques personnes présentes pour empêcher qu’une catastrophe se produisit.

On résolut de faire embarquer d’abord les femmes et les enfants ; dans la précipitation du moment un de ces derniers tomba à la mer, mais fut aussitôt sauvé par monsieur Malteste, chirurgien dentiste à Brest.

Du reste ce moment d’affolement fut de courte durée et les passagers comprirent bien vite qu’il n’y avait pas de péril imminent : le vapeur avait fait fonctionner sa sirène et les bateaux de l’île de Sein ayant entendu cet appel, accouraient tous au secours du Travailleur.

Quelques passagers embarquèrent sur des bateaux qui les conduisirent à Audierne, d’autre prirent place dans le sloup Mouate ( ? peut-être la Mouette des Ponts-et-Chaussées ?), qui s’engagea à les conduire à Brest ; enfin les derniers retournèrent à l’île de Sein, et attendirent les secours qui ne pouvaient pas tarder à arriver.  En effet, le sémaphore signalait l’accident qui venait de se produire, à la fois à la Préfecture Maritime et à la Compagnie des Vapeurs Brestois. Cette dernière envoyait immédiatement un autre de ses navires, le Cotentin, pour ramener les passagers.

  semaphore-du-raz.jpg

Le sémaphore du raz de Sein qui signala l'accident aux autorités et à l'armement (Cp coll Jpc)

 

Pour comble de malheur, une brume intense s’éleva dans la nuit, aux alentours de l’île, et ce ne fut qu’hier matin, vers cinq heures, que le Cotentin put enfin aborder. Il prit aussitôt les voyageurs qui étaient restés sur le Travailleur, au nombre d’une trentaine, et les ramena à Brest hier à dix heures.

Quand au Travailleur qui, à la marée montante, vers huit heures du soir, avait pu se déséchouer par ses propres moyens, il a réussi à rentrer à Brest dans la nuit et va entrer en réparations, ses avaries étant graves. Finalement, tout accident a pu être évité, mais les promeneurs ont plutôt gardé un mauvais souvenir de cette journée et de cette nuit passée en mer à la belle étoile.

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Le Travailleur, de face bord à quai, et le Cotentin à couple,  au port de commerce à Brest (Cp coll Jpc)

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Le Cotentin ici sur rade d'Ouessant, Cp coll Jpc

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Ouest-Eclair du 23 novembre 1909

L’accident du Travailleur, les suites judiciaires

On se rappelle l’accident survenu cet été au Travailleur. Le navire était parti de Brest le 13 juin au matin avec une soixantaine de passagers, parmi lesquels le capitaine de vaisseau Jaurès commandant le Gloire, pour une excursion à l’île de Sein … Un rapport sur cette affaire fut adressé au ministre de la Marine, qui, après avoir pris l’avis de la Commission des Naufrages, vient de prendre les décisions suivantes.  La responsabilité de la Compagnie est complètement mise hors de cause. Le capitaine au cabotage S. inscrit au Conquet, qui commandait le Travailleur est reconnu coupable d’avoir abandonné la barre du gouvernail, alors que le navire se trouvait dans une zone dangereuse. Pour ce fait il est renvoyé devant un tribunal maritime commercial qui siégera à Brest le 2 décembre prochain, sous la présidence de monsieur Cadiou, administrateur de l’Inscription Maritime. Le pilote C. de l’île de Molène est également reconnu coupable d’avoir débarqué trop tôt du navire et de l’avoir quitté alors qu’il se trouvait encore dans la zone de pilotage. Conformément à la loi de 1806, le pilote est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Quimper.

 

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Un bateau pilote le S.4, grand-voile et flèche hissés dans le port de l'île de Sein (Cp coll Jpc)

 

Une violente tempête secoue les côtes du Finistère, fin novembre et début décembre 1909

  Ouest-Eclair du 6 décembre 1909

Le ravitaillement des îles

Le vent s’est un peu calmé dans la journée d’hier, mais les averses de grêle ont continué à tomber…

Depuis le 27 novembre, le vapeur Travailleur qui fait le service postal entre Ouessant et Le Conquet, n’a pu sortir de ce dernier port. On est sans inquiétude au sujet d’Ouessant où se trouvent en réserve de nombreuses provisions de vivres, mais il n’en est pas de même de l’île Molène  - où le vapeur fait escale à chaque voyage – et où l’on craint que les habitants ne souffrent de la faim si l’on ne peut bientôt aller à leur secours.

  (Durant cette période, le capitaine Louis S. est resté bloqué à son domicile d’Ouessant, son procès a dû être retardé de quelques jours).

  

Ouest-Eclair du 8 décembre 1909

L’affaire du Travailleur, Condamnation du capitaine

Le tribunal maritime commercial s’est réuni hier après-midi sous la présidence de monsieur Cadiou, administrateur de l’Inscription maritime pour juger le capitaine au cabotage Louis S.

âgé de 30 ans, originaire de l’île d’Ouessant, inscrit au Conquet…

Le capitaine S. ne connaissant qu’imparfaitement les parages de l’île de Sein qui, comme on le sait, sont fort dangereux, la Compagnie lui donna l’ordre de prendre un pilote qui devait rentrer et sortir le navire. L’ordre fut ponctuellement exécuté. Le pilote C. prit le bateau au large pour le faire rentrer à l’île, où il arriva sans incidents à onze heures du matin.

A quatre heures, le navire se disposait à partir pour rentrer à Brest. Le temps était beau et la mer très calme. Confiants dans la sécurité que paraissait offrir la traversée, le capitaine et le pilote avaient un peu trop fêté leur rencontre, et d’après tous les témoignages des passagers, se trouvaient en état voisin de l’ivresse au moment du départ.

A environ un mille de l’île, alors que l’on se trouvait encore dans des passages dangereux, le pilote voulut descendre dans son bateau pour regagner l’île ; le capitaine quitta la barre pur aller faire ses adieux à son compagnon. A ce moment le navire talonna et vint s’échouer sur une roche.

Il y eut un moment d’affolement. Les passagers se précipitèrent dans les canots du bord que l’on mit à la mer, et ce ne fut que grâce à quelques officiers de Marine qui se trouvaient parmi les passagers que la panique fut enrayée. Le capitaine avoue lui-même à l’audience qu’il avait perdu la tête et que l’ordre de « machine en avant » qu’il donna à ce moment était absolument contraire à la manœuvre qu’il y avait lieu d’effectuer.

On lit les dépositions de messieurs Bodet, notaire à Brest, Simonnet, ingénieur civil, Jaurès, capitaine de vaisseau (frère de l’homme politique Jean Jaurès- ndlr), toutes sont conformes ; du reste le capitaine reconnaît parfaitement l’accusation d’ivresse qui lui est reprochée.

De très bons renseignements sont fournis sur son compte, aussi le président s’efforce de démontrer à l’inculpé dans quel cas grave il s’est mis alors qu’il avait charge de vies humaines, et qu’il se trouvait dans des parages réputés pour être excessivement dangereux. Du reste si le temps avait été mauvais, il est probable que c’est une catastrophe que l’on aurait eu à enregistrer.

Le capitaine S. dont l’attitude à l’audience est excellente demande l’indulgence de ses juges et déclare regretter ce qui s’est passé.

Après une courte délibération le tribunal condamne le capitaine de commerce S. à trois mois de prison et à six mois de suspension de commandement. Toutefois, en raison des bons antécédents de l’accusé, le tribunal lui accorde pour la prison, l’application de la loi de sursis.

Je ne sais pas pour le moment le sort qui fut réservé au pilote C.  Jpc avril 2011.

 

 

2 / Un voyage du Conquet à Molène à bord du Travailleur en 1910

 

Le n°2 de la Bretagne Touristique, daté du 15 mai 1922 propose un article de Charles Le Goffic  : « Une excursion à Molène ». En voici quelques morceaux choisis, tout en précisant que les Cahiers de l’Iroise d’avril-juin 1961 en ont présenté une version résumée.

 

1910, sans doute l’été. « Départ du Conquet à bord du Travailleur, capitaine Gourvès, homme jeune de 35 ans environ, de aille moyenne, mais solidement planté. Type de celte brun. Figure énergique, fortement hâlée, espadrilles, béret, un bout de cigarette collé à la lèvre supérieure. Lui-même est à la barre. Il ne serait pas prudent en effet, fût-ce par beau temps, de confier le navire à un subalterne dans le passage du Four… (Ndlr. Jean Gourvès, 46 ans, domicilié au Conquet,  patron du Travailleur est mort dans son sommeil, la nuit du 4 au 5 novembre 1916, dans le poste d’équipage du navire)

C’est la pointe du matin, et les phares sont encore allumés. Pont encombré de sacs, de barriques, même d’animaux (un taureau et trois vaches). Impossible d’y circuler, il n’y a de place que sur la dunette. Avec nous sont embarqués des soldats de l’infanterie coloniale, des permissionnaires de la Marine, des officiers rejoignant leur garnison d’Ouessant, un lot d’élégantes parisiennes , des voyageurs de commerce… des Ouessantines (une douzaine)…

 

Les îles très basses sur l’horizon pour la plupart sont encore noyées dans la brume. C’est Béniguet que l’on aperçoit d’abord, ouatée de fumée. Encore la devine-t-on plutôt qu’on ne l’aperçoit à travers ce brouillard orange dû à la combustion des algues… Il faut être dans la Helle pour discerner nettement Molène.

 

La voici enfin, développant sous le svelte campanile de l’église et la grande tour carrée du sémaphore, son amphithéâtre de maisons blanches, presque toutes à un étage, signe d’une aisance relative. L’entrée du port est quelque peu obstrué par le Trois Pierres, récif farouche qu’il faudrait éclairer – ou faire sauter ; le Travailleur y ramasse un gentil coup de roulis ; une paille à côté de la danse qui vous y attend en hiver. Mais le port lui-même, un havre naturel, en forme de conque, protégé vers la mer par le Lédénès… est le plus sûr, sinon le plus accessible de tout l’archipel.

 

Le Travailleur mouille à 50 mètres du môle, noir de monde, de femmes surtout et d’enfants… Une grande chaloupe montée par deux hommes,  le Pini, se range le long du bord et commence le déchargement des colis à destination de Molène. Il y en a de tous gabarits et de tous les calibres ; mais surtout des sacs, marqués aux initiales rouges ou noires des destinataires et contenant leur provision de pain de la semaine – le dit pain fabriqué et livré à crédit par le boulanger du Conquet qui vient tous les trimestres se faire régler. Certains ménages ne paient même qu’à l’année, après avoir vendu leur soude… Vers 1902 ou 1903, un boulanger audacieux qui s’était établi à Molène a dû fermer boutique presque aussitôt, le combustible qu’il fallait faire venir du continent, lui coûtait trop cher...

Le capitaine du Travailleur règle à chaque escale le patron du Pini, c’est toujours 40 sous, que le vapeur soit mouillé à 40 m ou à 200 m du môle ».

 

Il y a beaucoup d’autres choses intéressantes dans cet article rédigé par Le Goffic en 1922 à partir de ses notes de 1910. Possédant le numéro 2 de la « Bretagne Touristique », j’y puiserai à l’occasion.

                                          

vap-travailleur-cotentin-passagers.jpg

 Le Travailleur à gauche, le Cotentin à droite, en instance de départ un jour pluvieux (si on considère les parapluies noirs, ou très ensoleillé si on se réfère aux ombrelles blanches),  au port de commerce à Brest. (photo collect. Jpc, origine inconnue).

 

                                                                       JPC avril 2011

 

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