En ce mois de juin 2010, on commémore l’invasion de la France par les Allemands, il y a 70 ans, et l’appel historique du général Charles de Gaulle.
A cette occasion voici un extrait de la brochure « Le Conquet dans la guerre 1939-1945 » publiée le 10 septembre 1994, pour le 50e anniversaire de la libération du Conquet.
Rédacteur Jean Pierre Clochon, avec la collaboration de messieurs Christian Couture, Jacques Bazire, Armand Cudennec, Joël Provost et Georges Cureau.
Premier Chapitre
LE CONQUET A LA VEILLE DE LA GUERRE
Population, activités, municipalité
Recensement de 1936: 1 922 habitants
Population agglomérée: 1 308
Population éparse: 598
Résidents temporaires: 16
Absents lors du recensement: 16
Population des îles (incluse dans la population éparse) : 77
Béniguet 25
Quéménes 23
Trielen 23
Balanec 6
Les activités principales de la commune sont l'agriculture et la pêche:
Agriculture: un peu moins de 70 exploitations agricoles, essentiellement fermes familiales se livrant à l'élevage bovin (viande et lait) et aux cultures de céréales, de pommes de terre, de trèfle, de luzerne.
Pêche: 76 pêcheurs se livrent à cette activité, les crustacés: langoustes et homards sont les espèces les plus recherchées. Depuis 1930-35, les Conquétois ont abandonné la pêche au large, c'est donc à bord de petites unités qu'ils pratiquent leur métier, ne s'éloignant pas plus loin qu'Ouessant.
L'industrie est représentée au Conquet par deux usines de produits chimiques : l'usine Tissier et l'usine Cougny. Leur production est liée au traitement des algues pour l'obtention de l'iode et de divers sels de soude et concernant Cougny, de matières premières pour pour l’aliment du bétail.
LA MUNICIPALITE EN PLACE résulte des élections de 1935 :
Maire: Joseph Taniou, né à Laberildut en 1875
Adjoint: Alfred Jules Sartre, né à Lambézellec en 1892
Conseillers :
: Hobé Jean Marie
Cornen Joseph
Gendrot Louis
Jourden Joseph
Léon Yves Marie Gabriel
Cann Jean
Appriou Yves
Quellec Jacques
Hamon Yves
Menguy Théophile
Minguy Charles Jean Louis
Kersaudy Guillaume Marie
Lahalle Jean René
Floch Jean René
DE LA MOBILISATION GENERALE à MI-JUIN 1940
Le 1er septembre 1939: Le gouvernement décrète la MOBILISATION GENERALE.
Le 3 septembre 1939: La FRANCE DECLARE LA GUERRE à l'ALLEMAGNE.
DEFENSE DU LITTORAL
Des troupes affectées à la défense du littoral, viennent prendre position sur les côtes.
Au 20 octobre 1939, sont répartis entre Brest, Le Conquet et Ouessant:
-Le 4e et le 6e bataillons du 248e Régiment d'Infanterie
-La 207e compagnie de mitrailleuses de position du 248e Régiment d'Infanterie
-Le 11e groupe de canons de 75 du 10e Régiment d'Artillerie.
Les troupes s'installent dans les forts et les batteries côtières, mais la place manque et la ville du Conquet doit accueillir en garnison chez l'habitant la 1ère compagnie du 6e bataillon du 248e R.I et la 33e batterie du 10e Régiment d'Artillerie. Les hommes, leurs chevaux et leur matériel sont logés dans les écoles, les maisons particulières, les fermes....
Pour exemples :
Maison Desparmet : 14 sous-officiers et soldats, 10 officiers, 6 chevaux.
Ker an Aod : 30 sous-officiers et soldats, 6 chevaux.
Lhostis (Ker ar Stang) : 30 sous-officiers et soldats, 6 chevaux.
Le 9 décembre, l'amiral de la Flotte, commandant en chef des Forces Maritimes Françaises, estimant l'improbabilité de toute opération ennemie sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique, ordonne la réduction des effectifs dont l'utilité n'est pas évidente sur le littoral.
L'essentiel des troupes quitte Le Conquet. Les commerçants font le bilan des factures impayées, les logeurs dressent la liste des dégradations.
-Chez madame Faulle : plaques d'évérite cassées, électricité endommagée, madriers coupés, pavé de ciment à refaire...
-Hôtel Léon : parquet de chêne détérioré...
-Ecole St Joseph : 30 matelas dégradés, 3 planchers à refaire, 6 tables et 12 bancs à réparer...
-Chez madame René Floch : des trous à boucher dans le mur de l'atelier… etc…
L'ETAT DE GUERRE, INCIDENCES SUR LA VIE QUOTIDIENNE
Les hommes touchés par la mobilisation rejoignent leurs unités, destabilisant l'économie locale : ateliers qui ferment, bateaux privés de patrons et de matelots, problèmes de main-d'oeuvre dans les exploitations agricoles.
Les rationnements commencent, principalement celui de l'essence dont la délivrance ne peut se faire que par "bons".
Les réquisitions agricoles se mettent en place, le 6 novembre 1939, dix éleveurs du Conquet sont avisés d'avoir à livrer chacun une vache à la commission du ravitaillement à Saint-Renan.
LES DEBUTS DE LA GUERRE
Repères chronologiques ..
10 mai 1940 : Invasion des Pays-Bas et de la Belgique
14 mai 1940 : Percée des lignes françaises à Sedan
La débâcle de l'armée commence
26 mai - 4 juin : Evacuation des troupes anglo-françaises par Dunkerque
13 Juin : Prise de Paris
L'EXODE
Les populations quittent les zones de combats, l'exode jette sur les routes des milliers de familles qui fuient souvent sans but, vers le sud ou vers l'ouest... Depuis la déclaration de guerre Le Conquet accueille des réfugiés. Avec l'entrée en France des troupes allemandes les arrivants se font de plus en plus nombreux.... leur hébergement commence à poser problème.
Le Conquet, cité d'accueil pour les réfugiés :
Les autorités civiles se sont inquiétées en pensant que Brest, à cause de son port militaire, pourrait devenir une cible privilégiée des attaques allemandes, et en particulier par des bombardements aériens. Un "plan de dispersion lointaine de la population brestoise", en cas d'évacuation de la ville, a été confectionné sur ordre du préfet. Le Conquet y est désigné pour recevoir 1 421 personnes de Recouvrance et Saint-Pierre.
Mais les évènements se précipitent. Il n'est pas question d'évacuer Brest et c'est de la France du Nord que les réfugiés arrivent en masse. La municipalité est soumise à des problèmes majeurs quant à l'hébergement des arrivants.
Le 8 juin, le maire délègue tous pouvoirs à monsieur Cornen pour visiter les immeubles de la commune encore susceptibles de recevoir des réfugiés. A la lecture de son rapport on constate que beaucoup de réfugiés occupent déjà appartements ou chambres et que la plupart des locaux encore libres sont retenus pour des arrivants imminents.
A la veille de l'arrivée des Allemands, un document municipal recense 340 réfugiés, en majorité venus des départements du nord et de l'est de la France ainsi que trois familles belges.
DOCUMENT (Archives de la Mairie du Conquet)
Deuxième quinzaine de mai 1940
Problèmes pour l'hébergement des réfugiés
Le Maire du Conquet à monsieur le Sous-Préfet de Brest
J'ai l'honneur de vous adresser la réponse à votre lettre du 22 mai 1940.
Je me permets de vous faire savoir que le 22 mai au soir, une réunion a été organisée par la municipalité afin d'étudier avec les habitants la possibilité de loger le plus grand nombre possible de réfugiés et d'organiser des quêtes pour aider à la réception de ces personnes. Quatre cents habitants du Conquet assistaient à cette réunion ainsi que quelques réfugiés.
Afin de calmer cette assemblée, j'ai promis de vous transmettre ainsi qu'à monsieur le Préfet et aux élus du canton la protestation suivante :
Les habitants du Conquet et les réfugiés arrivés depuis une quinzaine de jours dans la commune protestent contre la fermeture permanente de l'immeuble appartenant à la ville de Brest (Beauséjour). Ils ne peuvent admettre la décision prise par la municipalité de Brest de ne pas ouvrir immédiatement et temporairement cet immeuble aux réfugiés. Il est très regrettable que des familles doivent faire des sacrifices immédiatement, alors qu'une grande propriété avec parc et nombreuses dépendances pouvant servir de refuge, reste fermée. Les bâtiments fermés à l'entrée de la ville attirent l'attention des passagers qui ne peuvent admettre que ces portes ne soient pas ouvertes aux réfugiés. Les personnes présentes demandent à la municipalité d'agir immédiatement près des pouvoirs publics et des élus du canton pour que cette situation cesse.
A la suite de cette réunion, un comité a été constitué. Ce comité recevra des dons, et d'accord avec la municipalité accueillera les réfugiés à leur arrivée dans la commune et les dirigera vers les logements réservés. Tout sera fait pour que les réfugiés aient le plus de confort possible.
Je dois vous exposer également...
1/ que depuis la mobilisation, sont arrivés tous les mois de nouveaux habitants au Conquet (femmes de militaires affectés à Brest ou dans la région). D'autres personnes sont venues résider temporairement au Conquet craignant que les évènements ne les mettent en péril chez eux (de Paris, Metz, Châlons sur Marne ...etc..)
2/ des familles habitant Brest possèdent des villas au Conquet. Ces immeubles sont donc des habitation secondaires. En cas d'évacuation de Brest, ces familles ont l'intention de s'y retirer. Or l'évacuation de Brest n'est pas envisagée. Je me permets donc de vous demander si oui ou non nous devons réquisitionner entièrement ou partiellement ces villas ainsi que les hôtels.
Bien des familles de Bordeaux, Dijon etc... sont arrivées au Conquet il y a quelques jours et ont occupé des garnis avant la saison d'été afin d'être certaines d'avoir un logement saisonnier pour juillet-août. Les loueurs réalisent ainsi des bénéfices importants alors que d'autres Conquétois se soumettent à la réquisition. Devons-nous refouler ces familles de Bordeaux, Dijon et autres villes non menacées?
Les habitants qui font de grand coeur le sacrifice nécessaire pour admettre chez eux des réfugiés, protestent contre les cas exposés ci-dessus. Les uns font des bénéfices, d'autres conservent un logement secondaire pour l'été, ce qui ne change rien à leur train de vie du temps de paix. Les charges ne sont alors pas réparties équitablement. Les réfugiés eux-mêmes qui sont sans domicile, trouvent cela étrange.
Si la réquisition partielle ou totale des villas et hôtels, et le refoulement des estivants sur leur domicile sont autorisés par vous, Le Conquet pourra recevoir un nombre de réfugiés plus important.
*
JUIN 1940, quelques repères chronologiques
-14 juin : les Allemands entrent dans Paris déclarée "ville ouverte".
-15 juin : le général De Gaulle quitte Brest pour l’Angleterre à bord du torpilleur Milan
-16 juin : les Britanniques évacuent Brest en abandonnant leur matériel au bord des routes et sur les quais. Cependant c'est un beau dimanche, les gens se promènent entre les alertes aériennes. Ces alertes sont fréquentes, depuis le 14 les avions allemands sèment des mines en Iroise, dans le Goulet et même en Rade de Brest.
-17 juin : Reynaud transmet à Pétain ses fonctions de « Président du Conseil ».
-17 juin matin : Le général Charbonneau reçoit une lettre officielle de service lui confiant la défense du camp retranché de Brest.
Les Allemands entrent en Bretagne...
18 au matin, 10h45 : Le général Robert Altmayer, chef de la Xe Armée, installé à Rennes, téléphone au vice-amiral Traub à la Préfecture Maritime « Les Allemands, une vingtaine de motocyclistes et quelques auto-mitrailleuses défilent en ce moment sous mes fenêtres. Attendez- vous à les voir arriver à Brest dans la soirée. »
La flotte de guerre reçoit l'ordre d'appareiller.
Le port de Brest se vide
A 8 heures du matin le 18 juin 1940 l’armée allemande commence à traverser Rennes et fonce vers l’ouest. A Brest c’est la débandade, soldats et marins embarquent à la hâte sur les navires de guerre et cargos en partance. Ceux qui restent sabordent les bateaux incapables de prendre la mer, incendient les dépôts de carburant et détruisent tous les matériels militaires qui pourraient servir plus tard aux Allemands.
L’or de la Banque de France (900 tonnes) entreposé dans un bunker au Portzic est embarqué du 16 juin au soir au 18 juin à 18 heures sur les croiseurs-auxiliaires (paquebots armés) El Djezaïr, El-Kantara, Ville-d’Alger, Ville- d’Oran et sur le Victor-Schoelcher.
Les avisos de la Défense du littoral reçoivent l’ordre de prendre à leur bord les marins des batteries côtières et une partie des archives du 2e dépôt de la Marine.
La deuxième escadrille d’avisos de la Défense du littoral est composée des navires : Somme, Suippe, Vauquois, Coucy, Elan, Commandan -Duboc et Commandant-Rivière.
A 16h45 la Suippe quitte Brest et se poste pour attendre le reste de la flottille près de la Vandrée. A 19h45 elle est rejointe par la Somme et le Vauquois. Une demi-heure plus tard, sans nouvelles des autres navires, deux des avisos mettent le cap vers le chenal du Four destination l’Angleterre, tandis que le commandant de la Somme décide de se joindre à un convoi de 14 sous-marins escortés par le Jules-Verne, convoi qui arrivera à Casablanca quelques jours plus tard.
Le Vauquois saute sur une mine : cet accident est déjà évoqué sur ce blog, s’y reporter.
LES ALLEMANDS SONT AUX PORTES DE BREST
Les Allemands s'arrêtent le 18 au soir près de Guingamp.
Le général Charbonneau installe ses maigres troupes équipées de quelques mitrailleuses et d'une douzaine de canons anti-chars, en barrages sur les routes principales d'accès à Brest.
Le 19 à 3 heures du matin, le vice-amiral Cayol rend compte à Charbonneau que toute la flotte de commerce et de guerre a quitté Brest et que lui-même s'en va à bord du torpilleur Mistral.
Les Allemands viennent de quitter Guingamp, Charbonneau gagne son PC de Guipavas.
L'avant-garde allemande s'est scindée en deux colonnes, chacune se composant de quelques motocyclistes, une dizaine d'auto-mitrailleuses et d'une centaine de camions. La première prend la route de l'intérieur par Carhaix (elle poursuivra par Quimerc'h vers Crozon), la seconde traverse Morlaix vers 7 heures et se heurte au barrage de Landivisiau (un canon de 75 et quelques mitrailleuses dont les servants après avoir épuisé leurs munitions prennent la route du Conquet par Gouesnou). Sans tenter de forcer le passage les Allemands le contournent pour rattraper la route de Landerneau où ils trouvent un nouveau barrage. La colonne remonte alors vers Lesneven puis Plabennec d'où le général qui la commande demande la reddition de Brest.
19 juin 1940,
EVACUATION DES DERNIERES TROUPES PAR LE CONQUET
Le 16 ou le 17 juin 1940, l'Amiral "Ouest" prescrit au Préfet Maritime à Brest de préparer un plan d'évacuation de tout le personnel militaire et des marins combattants, en utilisant tous les bâtiments de guerre et de commerce présents. Cette évacuation se fera sous la protection des troupes de défense du littoral qui, lorsqu'elles seront obligées de se replier embarqueront au Conquet ou à Camaret pour être regroupées à Ouessant.
Dans la nuit du 18 au 19, les personnels des batteries des Rospects et de Créach'meur rallient à pied l'anse de Perzel près de Bertheaume. Les Rospects sont à 4,5 km du point d'embarquement. "Cette marche fut malheureusement mise à profit par un certain nombre d'hommes pour boire outre mesure, ce qui rendit l'embarquement de plage laborieux". Laborieux en effet, car il se passait en plusieurs temps : des youyous venaient prendre les soldats sur la plage pour les amener au Monique-André, chalutier converti en dragueur auxiliaire, mouillé sur rade de Bertheaume. Une navette par le petit remorqueur Frêne les conduisait ensuite par bordées sur le cargo Gravelines mouillé plus au large. L'opération s'est terminée vers 6 heures du matin, le Gravelines a appareillé ayant pris à son bord 17 officiers et 550 hommes environ. Le Frêne rallie alors Le Conquet.
Le torpilleur Mistral quant à lui appareillait de Brest le 18 juin à 16h30, un quart d'heure avant le Vauquois. Mais dans le goulet, le capitaine de corvette de Toulouse-Lautrec recevait l'ordre de revenir sur rade. Dans la soirée et la nuit montaient à bord du navire environ 250 passagers supplémentaires et vers 5h du matin le 19 le vice-amiral Cayol et son chef d'état-major, derniers embarquants donnaient l'ordre d'appareiller.
Cayol, "amiral secteur" était chargé d'assurer et de protéger l'embarquement des troupes qui devaient se replier sur Camaret et Le Conquet et de les évacuer par Ouessant, et de prolonger le plus tard possible la patrouille en Iroise.
A l'aube du 19, le Mistral qui est devant Camaret, détache une chaloupe à moteur vers Le Conquet. A bord le capitaine de frégate Duroché de la Préfecture Maritime et l'enseigne de vaisseau De Vauquelin ces deux officiers ont pour mission d'organiser le départ des troupes dirigées sur Le Conquet. En route Duroché réquisitionne deux voiliers et un remorqueur le Cherbourgeois IV qu'il déroute vers Le Conquet. Cayol lui enverra en renfort un petit cargo le Placidas Faroult aux ordres du capitaine de corvette de réserve Valteau.
Toute la journée des marins et des militaires arrivant par petits groupes au Conquet vont être embarqués sur tous les moyens flottants et expédiés vers Ouessant. Le petit remorqueur Frêne dont le commandant le lieutenant de vaisseau Dauphin, s'était mis aux ordres de Duroché, effectue plusieurs rotations entre Le Conquet et le Mistral qui croise toujours à l'entrée de l'Iroise pour interdire à tout navire venu du large d'aller vers Brest.
A 17h30, un coup de téléphone de la Préfecture Maritime prévenait Duroché que des négociations étaient en cours avec les Allemands qui encerclaient Brest, et que tous les embarquements devaient être terminés pour 19 heures.
A 19 heures le général Charbonneau et son état-major arrivent au Conquet et informent Duroché qu'il n'y a plus de troupes à attendre, l'évacuation est terminée.
Les derniers jours vus par le général Charbonneau:
Venant d'Indochine, Jean Charbonneau débarque en France le 19 mai, et rejoint Brest le 29, nommé adjoint au vice-amiral d'escadre, préfet maritime et gouverneur de Brest. Dans un livre "L'envers du 18 juin", il brosse un tableau pitoyable de Brest, une pagaille gigantesque autour de l'arsenal et dans les services de la marine et de l'armée. Chacun ne pensant qu'à partir ou à capituler après avoir détruit matériels et documents. « L'ambiance générale écrit-il, n'est pas à la résistance, la mentalité de la population civile apparaît lamentable, pour les troupes c'est pire. Chaque soir et tard dans la nuit se font entendre à travers les rues les brailleries de bandes de matelots avinés. La ville est encombrée d'ivrognes, ouvriers de l'arsenal et matelots à demi-vêtus qui beuglent indifféremment la Marseillaise et l'Internationale ».
Brest capitule..
A la Préfecture Maritime le conseil de défense, vice-amiral Traub, général Charbonneau et général Picard-Claudel, accorde aux parlementaires allemands la capitulation de la ville. Charbonneau s'éclipse par une porte de service et fonce vers Le Conquet.
« En quittant la Préfecture Maritime le 19 juin à 17h45, le problème est pour moi de gagner de vitesse les Allemands et de parvenir avant eux à la pointe Saint-Mathieu, pour tâcher de m'y embarquer. Je ne me donne pas plus de 10% de chances de réussir. Aussi ma voiture file-t-elle à toute allure par la route qui longe le littoral. J'arrive bon premier au Conquet, tout étonné que pendant leur halte de plusieurs heures devant Gouesnou, les Allemands n'aient pas détaché quelque flanc-garde rapide de ce côté.
Avec mes officiers d'Etat-Major, je saute dans un chalutier, le seul et dernier qu'abrite ce petit port! et nous gagnons la haute mer. C'est une splendide fin de journée d'été. Quel apaisement. »
Charbonneau n'est pas un marin, l'embarcation où il monte et qu'il qualifie de chalutier, n'est en fait qu'un petit sloup de 4 ou 5 mètres. Lorsqu'il arrive à la cale avec son aide de camp, quelques personnes sont en discussion avec l'officier chargé de l'évacuation des troupes par Le Conquet. Dans le groupe se trouve monsieur Le Goasguen, fils du maire de Plougonvelin, qui se souvient : « Avec quelques amis nous devions partir sur la gabare d’un Kérébel de Lampaul surnommé l'Amiral, mais le bateau n'est pas venu au rendez-vous près de Bertheaume, il avait fait route le 18 au soir, directement vers l'Angleterre. Aussi toute la journée du 19 j'ai couru la côte en voiture entre Le Trez-hir et Lampaul pour trouver un bateau sur lequel partir. Au Conquet le matin c'était la cohue, je me suis fait refouler par le lieutenant de vaisseau chargé des évacuations : "on ne prend pas les civils"! Cet officier était débordé, on lui annonçait l'arrivée de 5 000 hommes de troupe qui devaient assurer la défense d'Ouessant et il n'avait pas assez de navires pour faire la navette. Finalement il est monté dans ma voiture et nous sommes allés essayer d'en trouver vers Laber-Ildut. En vain! au retour je l'ai déposé au Conquet et je suis rentré chez moi à Plougonvelin. Vers 17 heures, une dame venant du Conquet m'a appris qu'on y embarquait tous ceux qui voulaient. Mon père a sorti sa voiture et nous voilà à nouveau en route pour Le Conquet, avec court arrêt à Saint-Mathieu le temps d'y prendre les frères Lunven et un séminariste dont j'ai oublié le nom. L'agitation du matin s'était dissoute, le port était vide, les rues calmes. Plus un bateau, plus rien...! Et puis si, mon lieutenant de vaisseau était toujours là, près de la cale où était accosté un petit sloup. A mon indignation concernant mon éviction du matin il ne pouvait que répondre : les troupes attendues ne sont pas venues, ou n'ont jamais existé, alors il y avait de la place pour qui voulait...
Après quelques palabres il a accepté de nous voir embarquer sur le sloup en partance pour Ouessant si les autorités attendues n'étaient pas trop nombreuses et si elles acceptaient notre présence. Quant à lui l'évacuation terminée, il allait regagner l'Amirauté à Brest.
Le général Charbonneau arrive en effet peu avant 19h en compagnie de son aide de camp.
Nous sommes trois à l'accompagner sur le bateau : l'aîné des Lunven, le séminariste et moi. Le torpilleur Mistral nous recueille en route. Epuisé je m'endors près d'une tourelle. On me racontera plus tard que les servants des pièces anti-aériennes ont dû tirer pour éloigner un Dornier allemand qui devenait menaçant. Débarqué comme tous les civils à l'escale d'Ouessant c'est à bord du Frêne que je poursuivrai mon exil vers l'Angleterre. »
Suite du commentaire de Charbonneau...
« A 20h30, nous sommes recueillis au large par le torpilleur Mistral, à bord duquel je retouve le vice-amiral Cayol et de nombreux officiers de marine. Ce bâtiment a croisé depuis le matin devant l'entrée du goulet de Brest, en "chien de berger", pour empêcher tous les bateaux français ou alliés venant du large et ignorant les événements d'y pénétrer. Il vient d'essuyer, sans dommage, le feu de la batterie de Camaret, occupée depuis quelques heures par les Allemands. »
Le Mistral fait route sur Ouessant où le vice-amiral Cayol va organiser un convoi qui, le lendemain au petit jour, se dirigera vers l'Angleterre.
Cette traversée s'effectue d'ailleurs sans aucun incident, et contrairement à toute prévision le convoi qu'escorte le Mistral ne rencontre ni sous-marin, ni avion allemand. C'est ainsi que nous atteignons le soir même le port de Plymouth »
A 20 heures donc, le 19 juin, les dernières embarcations ont quitté Le Conquet d'où 2 000 hommes environ, 1/3 de marins et une cinquantaine de jeunes gens civils, avaient été évacués.
Ouessant n'est qu'une étape, le 20 vers 4 heures du matin, la flottille hétéroclite dans laquelle on reconnait les Monique-Andrée, Frêne, Mutin, Placidas Faroult, Cherbourgeois IV, Gravelines... fait route l'Angleterre sous escorte du Mistral et du Commandant Duboc.
Le Frêne: C'est un vieux remorqueur de 370 tonneaux, construit à Lorient en 1918, une machine alternative de 480cv le propulse à une vitesse maximale de 10 noeuds. Pour l'heure il ne remorque rien, il transporte. Comme tous les autres navires du convoi il est bondé d'hommes, femmes et enfants qui ont choisi de fuir la France. Monsieur Le Goasguen a trouvé refuge contre une porte dans une timonerie déjà saturée. Heureusement la traversée est tranquille, une houle longue sur une mer calme. Pas d'alerte aérienne ou sous-marine, c'est une chance car le navire ne posséde sur le toit de la passerelle qu'une mitrailleuse (démontée) pour tout armement. A Plymouth tous les civils sont débarqués avant que le Frêne n'entre dans la zone de l'arsenal militaire. Avec d'autres compagnons, monsieur Le Goasguen sera dirigé ensuite sur un camp près de Londres.
Le remorqueur confisqué par la Royal Navy sous le matricule HMS Z201 reviendra en France en 1945 et quittera le service en 1949.
Le Mistral est à quai à Plymouth le 20 à 19h30, son commandant, le capitaine de corvette de Toulouse-Lautrec demande l'autorisation d'appareiller pour faire route sur le Maroc, Cayol refuse. Saisi le 3 juillet par la Royal Navy pour la durée de la guerre, le bateau sera rendu à la France à la Libération, pour être désarmé en 1950.
Quant à l'aviso Commandant Duboc, il repart de Plymouth pour Ouessant le 21 au matin avec des vivres, des mitrailleuses et des munitions et le capitaine de frégate Robert qui est débarqué au Stiff où il prend le commandement de la garnison.
Le 22 juin 1940 la France capitule, la cessation officielle des hostilités entre la France et l’Allemagne est fixée au 25 juin à 0h35, heure française d’été.
Ouessant privée de liaisons téléphoniques avec le continent, est toujours en guerre. Le 29 juin, le téléphone est rétabli, le C.F Robert entre en contact avec la préfecture maritime, il est convoqué à Brest. Arrivé au Conquet il attend à la poste en bavardant avec le receveur monsieur Berthou, qu'une voiture allemande vienne le chercher.
Après de longues négociations avec les Allemands, le commandant d'Ouessant obtient qu'à leur reddition ses soldats ne seront pas faits prisonniers.
Les 6 et 8 juillet, 210 hommes et 7 officiers débarquent au Conquet, se rendent à Brest où ils sont démobilisés sur place.
Sources:
Etat Major Général, Les Forces de l'Ouest, Capitaine de Frégate Caroff, chef du service historique. 1954.
Brest Porte Océane, Amiral Lepotier, France Empire. 1968.
L'Envers du 18 juin, Général Jean Charbonneau, Desroches Editeur 1969.
S et G, Hilarion, capitaine de vaisseau Philippon, France Empire 1957.
Monsieur Le Goasguen du Mémorial de Montbarey, témoignage oral
LES JOURNEES DES 17-18-19 JUIN 1940
(Témoignages ).
Carnet de route du capitaine Leblanc de l’Infanterie Coloniale (trois feuillets concernant ces journées communiqués par sa famille – cette contribution ne figure pas dans la première édition de la brochure).
Au début de juin 1940, le capitaine Leblanc du BPC n°631 à Beyrouth est en congé de convalescence à Saint-Brieuc, où il a retrouvé sa famille. Le 18 juin, les Allemands sont à Rennes, Leblanc quitte Saint-Brieuc par le dernier train à 17h, pour Brest où il pense rejoindre la garnison coloniale la plus proche..
Arrivé à Brest vers 21 heures, il trouve des rues désertes, par contre le port est encombré de matériel abandonné par les Anglais, autos-mitrailleuses, tanks légers, voitures sanitaires, camions chargés de vivres et d’équipements. La plupart des véhicules ont été mis hors d’usage. Incendies à la gare, dépôt d’essence en feu, fourrages…
A 21h30, Leblanc arrive à la DIC n°118, au moment où cette division évacue la caserne Fautras. Le personnel, sauf quelques officiers et quelques hommes laissés sur place, est embarqué en camions vers Le Conquet. Le dépôt abandonne presque tous ses approvisionnements (armes, vivres, effets, pièces de drap…)
Dès son arrivée, le capitaine Leblanc reçoit du lieutenant-colonel commandant le dépôt, le commandement de la 1ère compagnie. Il est chargé d’organiser la défense du Conquet. Instructions : protéger les embarquements de troupes prévus pour le lendemain (DIC 118, marins de l’arsenal, rescapés divers), avec comme moyens : 3 sections de F.V à 20 hommes et 1 section de mitrailleuses.
A 23h30, la 1ère compagne arrive au Conquet. Installation sommaire à l’entrée de la ville, prise de mesures de sûreté pour la nuit.
19 juin matin, reconnaissance du terrain, organisation d’un point d’appui. Puis plus tard, embarquement pour l’Angleterre, via Ouessant, des troupes ayant évacué Brest. Ordre d’embarquement donné par le vice-amiral, préfet maritime, commandant la place de Brest, et notifié par le général Charbonneau, commandant la défense. Opérations dirigées par un capitaine de frégate.
Les Allemands sont à Brest, venus par voie ferrée ; ils ont quelques éléments motorisés à 8 km du Conquet.
Vers 15 heures, sa mission étant remplie, la compagnie de protection reçoit à son tour l’ordre de partir pour Ouessant. Elle quitte Le Conquet avec l’état-major de la DIC 118, sur des voiliers de pêche. Arrivée à Ouessant à 17 heures.
Le 20 juin, entre 2 heures et 8 heures, embarquement de l’état-major et des troupes du dépôt 118 sur des chalutiers. La 1e compagnie quitte Ouessant en dernier lieu.
Le 21 juin, vers 7 heures, le « Pourquoi-Pas », (canot de sauvetage de Molène), transportant la 1ère compagnie, arrive en rade de Plymouth… etc…
Mademoiselle Paule Jestin, 18 juin, « début de soirée, comme les jours précédents, des réfugiés arrivent encore, madame Taburet et mademoiselle Paule Jestin ont de plus en plus de mal à leur trouver des logements. Une voiture s'arrête devant l'épicerie familiale dans la Grand-Rue, ce sont des gens du nord, le véhicule est lourdement chargé, matelas roulés sur le toit... Mademoiselle Jestin s'interroge : où les héberger, tout est plein!. Elle pense à la grande maison de Ker an Aod, chez madame de Blois. Une chance, il y reste une petite chambre, tout là haut sous les toits. Mademoiselle Jestin, à la fenêtre, montre aux nouveaux arrivants le panorama de la mer et des îles, les bateaux qui passent... quand soudain dans un bruit terrible, elle voit un navire exploser.. c'est le Vauquois qui vient de sauter sur une mine! "j'ai laissé là les réfugiés, j'ai dévalé les escaliers et je suis partie en courant vers Sainte-Barbe. En passant sur la corniche de Portez, quelqu'un m'a dit: les Allemands arrivent, les Allemands arrivent... après je ne me rappelle plus de ce qui s'est passé, j'étais affolée, nous étions tous affolés... »
René Le Treut, (écolier 13 ans), « j'étais en classe à Dom Michel. En fin d'après-midi le 18 juin, on nous avait réunis dans l'église pour une messe et à l'issue de la cérémonie, le recteur avait dit à l'assistance : les Allemands arrivent, demain ils seront là mais aujourd'hui nous pouvons encore chanter la Marseillaise… le chant national a aussitôt été repris en choeur par l'assemblée. C'est après la sortie de la messe qu'on a entendu dire qu'un bateau venait de sauter à Kermorvan. J'ai vu une partie de l'épave encore hors de l'eau et des silhouettes qui s'agitaient.. Je me souviens d'un avion arrivé pendant que le canot de sauvetage débarquait les blessés dont un avait la tête fendue, en sang. Les gens disaient en voyant ses cocardes que c'était un avion anglais, en tout cas il n'a fait que passer. »
Albert Berthou (19 ans), « les soldats en débandade sont arrivés le 19 au matin, je me souviens d'un camion arrêté devant le Lion d'Or, il était chargé de barriques de vin. Les militaires y puisaient et buvaient jusqu'à plus soif. Ils étaient complètement saoûls pour la plupart.. Autour de Sainte-Barbe c'était plein de véhicules militaires, d'armes, de munitions... Dans la journée pendant que d'autres Conquétois cherchaient à s'embarquer, je suis allé avec mon frère et le syndic Riou faire des navettes avec un canot pour jeter armes et munitions à la mer, il ne fallait rien laisser aux Allemands. Parmi ceux qui s'en allaient, je me souviens de Gérard de Blois qui disait : « Moi je ne veux pas aller planter des patates en Poméranie! » (Sous-lieutenant au Bataillon d'Infanterie de Marine du Pacifique, il est mort pour la France le 23 août 1944 dans la région de Hyères).
Récit de Joseph Floch (17ans), « le 19 au matin nous étions au moins une dizaine de Lochrist à être descendus au port voir ce qui se passait. Des canots amenaient à des navires de guerre mouillés à l'extérieur de Sainte-Barbe les soldats qui se trouvaient là, ils n'étaient pas très nombreux, buvaient beaucoup et jetaient leurs armes dans le port avant de partir. Les civils ne pouvaient pas embarquer. Quelques hommes du Conquet ont rejoint les bateaux de guerre en utilisant un canot. » (Joseph Floch s'éloigne alors du port, trouve une voiture anglaise, genre fourgon avec une croix-rouge, réussit à la mettre en route et s'en va se promener avec. Plus tard il la céde à un militaire qui, ayant trouvé des vêtements civils voulait tenter de rejoindre sa famille à Nantes.).
Récit de Jean Marie Le Bris (10ans), « les soldats arrivaient, il y en avait partout, ils cherchaient à s'embarquer mais il n'y avait rien. Porsliogan était couvert de camions, le parking de Sainte-Barbe pareil.... des camions, des motos... des soldats venus à vélos les jetaient ... Beaucoup de matériel a été lancé à la mer... Dans la journée, la gabare Paul Georges (à Prosper Gouachet) a fait la navette entre le port du Conquet et des bateaux de guerre qui attendaient. Les militaires français et anglais partaient les premiers... Plusieurs Conquétois sont partis aussi, dont un matelot à mon père : Armand Toquin, mort de maladie plus tard (à Damas en Syrie). Beaucoup qui le voulaient n'ont pas pu embarquer à cause du syndic Riou qui leur barrait le chemin au bout de la digue, sifflait et criait sur le Paul Georges pour le faire revenir à quai débarquer ses passagers civils. Parmi les camions abandonnés, certains étaient équipés de projecteurs et renfermaient batteries et groupes électrogènes... nous les gosses, avant l'arrivée des Allemands on a pu récupérer pas mal de plomb (pour la pêche). »
Récit de François Le Bris (15ans), « Les troupes ont commencé à arriver la veille de l'accident du Vauquois… Aucun bateau ne les attendait pour les embarquer…
Riou, le syndic du Conquet, est venu réveiller mon père le matin pour qu'on aille avec notre bateau envoyer des soldats à Ouessant… Avec notre canot de 5 mètres l'Asta-Buen, ce n'était pas possible. Le syndic a dû aller frapper à d'autres portes mais finalement aucun bateau du Conquet n'est parti.
Le 19 juin, les soldats ont pu embarquer et avec eux sont partis beaucoup de Conquétois : Jopic Menguy, Yffic Vaillant, Yves Meneur, Paulic Kerebel etc... Ils sont montés à bord d'un remorqueur qui attendait sur rade du Conquet. J'étais sur la cale de sauvetage attendant mon tour, quand le syndic m'a écarté: "tu es trop jeune toi!".. alors que Marcel Goaster qui avait le même âge que moi (15 ans) était déjà en bas de la cale et montait dans un canot. »
Jean Louis Lannuzel de Trébabu, (19 ans), était à couper du foin au moulin de Kerleo quand sa voisine, madame Uguen, est venue lui dire de rentrer tout de suite à la maison. De retour à Kermaria, deux jeunes gens l'y attendaient avec leurs bagages : Joseph André de Kermergant et Le Hir de la ferme de La Haie. Ils avaient entendu dire que les Allemands approchaient et voulaient partir en Angleterre. Jean Louis Lannuzel rassemble quelques affaires et le trio descend vers Le Conquet. En passant par Keruzou Vraz, ils entraînent Iffic Lannuzel avec eux. Bientôt arrivés au port du Conquet ils reconnaissent des parents ou des amis parmi ceux qui embarquent sur les quelques bateaux présents sur rade. Partis sans rien, ils jugent prudent d'aller acheter en ville quelques provisions; quand ils reviennent au port, on leur dit qu'on ne peut pas les prendre sur les bateaux, il faut faire d'abord embarquer les prioritaires. Découragés ils rentrent à Trébabu.
Note: Les maires et les autorités maritimes avaient reçu du gouvernement des instructions pour empêcher tout civil de quitter le territoire français. Le syndic des gens de mer a appliqué strictement ces consignes en un premier temps. Puis comme les officiers de marine chargés de l'évacuation des troupes par Le Conquet décidaient en cours de journée de laisser embarquer quiconque le voulait, Riou cessa de faire obstruction. D'où des témoignages contradictoires sur le comportement de ce fonctionnaire le 19 juin 1940.
ADDITIF :
"J'étais en ce soir de 18 juin, résolu à quitter le pays avant qu'il fût occupé"
Yves Guéna, jeune engagé dans les Forces françaises libres, ancien Président de la Fondation Charles de Gaulle
"J'arrivai à Brest alors que la ville, surprise de sentir soudain l'approche de l'ennemi, était survolée par quelques avions allemands, recevait ses premières bombes et entendait claquer les canons anti-aériens de la marine. Mon père restait à Brest. Je partis avec ma mère et mon jeune frère dans la petite maison au bord de la mer, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de la ville, où nous passions chaque année les vacances d'été. C'est là que j'appris la demande d'armistice ; il y avait déjà en raison des événements, quelques estivants dans cette station balnéaire ; la première réaction autour de moi fut, je m'en souviens bien, l'incrédulité et, sinon le désir de résister, du moins le refus de cette lamentable issue. Le lendemain 18 juin, dans la journée, nous sûmes que les Allemands avaient dépassé Rennes. A la nuit tombée, je fus averti que les troupes anglaises et françaises - pour celles-ci, il s'agissait du corps expéditionnaire récemment revenu de Norvège - s'embarquaient pour l'Angleterre - donc qu'on ne défendrait pas l'extrême pointe de la Bretagne - et aussi qu'un général venait de lancer à la radio de Londres un appel à poursuivre la lutte. (…) J'étais en ce soir de 18 juin, résolu à quitter le pays avant qu'il fût occupé. (…) Je sautai dans un remorqueur de la marine commandé par un vieil officier marinier bienveillant et nous appareillâmes pour Ouessant. C'était le 19 juin 1940."
Le temps des certitudes, 1940-1969, Flammarion, 1982 (Source Internet)
20 JUIN 1940, DEBUT D'APRES-MIDI
LES PREMIERES TROUPES ALLEMANDES ARRIVENT AU CONQUET
Les Allemands sont entrés dans Brest le 19 en soirée, dès le lendemain ils ont commencé à occuper les sites stratégiques autour de la ville.
Des petits groupes de reconnaissance arrivent à Lochrist et au Conquet le jeudi 20 juin en début d'après-midi.
Deux motos à side-cars, soient 4 soldats en tout, arrivent sur la place de Lochrist et demandent le nombre d'habitants du hameau. Joseph Floc'h à qui ils s'adressent leur répond « une cinquantaine de personnes » et ils s'en vont.
En fin d'après-midi, arrivée d’un contingent de soldats avec camions et matériels, ceux qui traversent Lochrist vont directement sur la hauteur à Kéringar monter un camp.
D'autres motards ont circulé dans Le Conquet, en missions de repérages et d'observation.
François Le Bris, Alexis Vaillant et d'autres… « quand les Allemands sont arrivés, le parking de l'hôtel Sainte-Barbe était plein de véhicules abandonnés… nous étions plusieurs à essayer de jeter une voiture dans la grève du Paradis, car le bruit avait été répandu qu'il ne fallait rien laisser d'utilisable aux Allemands. C'était en début d'après-midi, deux ou trois motos avec des Allemands en uniformes noirs sont passées là, nous avons eu très peur mais ils n'ont fait aucune remarque.»
Pierre Daniel, « nous n'avions pas école, donc c'était bien jeudi, j'étais à Sainte-Barbe quand des motocyclistes allemands sont arrivés, ils ont mis pied à terre, ont tiré leurs casques pour se détendre, et se sont mis à bavarder avec des réfugiés alsaciens qui se trouvaient là... plus tard un command-car est passé. »
Mademoiselle Paule Jestin, « je n'ai pas vu arriver les Allemands car nous en avions une peur bleue.. mes parents tenaient un commerce, une épicerie dans la Grand-Rue, ils avaient fermé les volets et avec mon amie Jeanne Treut, nous étions terrées dans le jardin. En fin d'après-midi on entendait tourner des véhicules sans arrêt. La curiosité l'a emporté et nous sommes sorties voir. C'étaient toujours les mêmes engins qui passaient, en fait les Allemands ce jour-là n'étaient pas très nombreux, du moins en ville. »
Albert Berthou, « Une dame de Valenciennes réfugiée avait tellement affolé ma mère que chez nous aussi (à la poste, mon père était receveur) les volets étaient tirés. »
François Cam du Bilou, « un groupe d'une dizaine d'Allemands à motos et motos à side-cars s'est arrêté à la ferme vers 15/16 heures, a demandé à manger, puis après s'être restaurés, les soldats ont payé et sont partis. »
René Le Treut, « j'étais du côté de Sainte-Barbe dans l'après-midi avec d'autres garçons à casser des voitures anglaises quand trois petits engins blindés sont arrivés… les Allemands qui en sont descendus étaient très décontractés, ils ont offert des cigarettes aux adultes présents... Je me rappelle aussi, mais ceci a dû se passer quelques jours plus tard, ... monsieur Mazé, un vieil homme très pittoresque portant toujours un chapeau breton à guides, se trouvait du côté de Sainte-Barbe, répondant à des questions d'officiers allemands ; il désignait le bras tendu Beniguet ou Molène. Un photographe allemand opérait discrètement. Quelques jours plus tard la photo est parue dans les journaux: "un Breton montre à nos troupes les côtes anglaises. »
Dès ce jeudi soir, les premières troupes d'occupation arrivées au Conquet ont réquisitionné la salle de cinéma du patronage, une classe, un dortoir et une salle vide à l'école libre et à l'école laïque une classe. Mais il semble au souvenir des témoins, que le gros des troupes n'a investi Le Conquet et ses environs que le samedi 22 juin 1940.
Le détachement commandé par un nommé Müller, ingénieur dans le civil et habitué avant-guerre de l'hôtel Sainte-Barbe, s'est installé au Conquet ce jour-là. Alexis Auffret nous précise qu'il se composait d'une compagnie de DCA équipée de canons de 90 m/m et d'une compagnie d'artillerie équipée de canons de 100/105 m/m.
Quelques semaines plus tard Müller laissant la DCA et ses servants à Beauséjour, (réquisition officielle de la propriété appartenant à la ville de Brest le 25 juin), est parti vers Saint-Nazaire avec sa compagnie d'artillerie. Son détachement fut attaquée par des avions à La Roche-Bernard, l'ingénieur allemand y aurait trouvé la mort.
Les pelotons motocyclistes allemands ont parcouru les chemins de campagne de Trébabu également le jeudi 20. Anne Yvonne Lhostis de Créac'h an Ilis revenait à bicyclette du Cran où elle avait été laver son linge quand elle les a rencontrés, elle se souvient avoir eu très peur.
La famille Bergot de Ty Soul était occupée à ramasser du foin quand les motos sont arrivées. Le soir à la ferme, l'appétit coupé, personne ne touchait au repas.
Louis Marc du moulin de Kerléo, (12 ans), se rappelle bien d'une moto descendant vers Kerléo puis faisant demi-tour, la remontée vers Ploumoguer étant impraticable.
Au Cosquies, qui deviendra plus tard le foyer de détente des sous-mariniers allemands, Gilles Miriel rapporte qu'un officier des groupes de reconnaissance a fait aligner la famille devant le perron de la maison pour en tirer … des photographies.
On pourrait multiplier à loisir les relations de témoignages, les fillettes de l'époque se souviennent que les Allemands voulaient distribuer des bonbons aux enfants… des "La Pie qui Chante" mais qu'il était interdit de les manger car les parents disaient qu'ils étaient empoisonnés.
Une certitude se dégage de ces quelques exemples, l'installation des Allemands au Conquet s'est faite sans heurts ni violences, et sans résistance aucune de la part d'une population en état de choc.
Fin de l’extrait.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
JPC. 15 juin 2010.