Une gabare au Conquet :
le "Paul-Georges"

Le Paul-Georges à la cale Saint-Christophe, tableau de A. Brenterc'h au début des années 1950.
Collection particulière.
Le Conquet, à l’inverse de Lampaul-Plouarzel, n’a jamais été au XXe siècle, un port d’armement de gabares, c’est-à-dire de navires armés aux transports côtiers dans une zone géographique limitée, autour de leur port d’attache.
Entre 1900 et 1923, un seul armateur pour cette activité, mon grand-oncle Joseph Causeur, d’abord avec l’Eclipse, puis l’Espérance, puis le Petit-Jean.
A la mort de Job Causeur en 1923, il n’y a plus de gabare conquétoise, jusqu’à l’arrivée du Paul-Georges, huit ans plus tard.
(A gauche, l'Espérance)
Le Paul-Georges : sloup à voiles et à moteur, Construit au chantier Keraudren à Camaret, lancé en 1931 pour le compte d’un monsieur Marrec qui le met en vente un an plus tard.
Chez le propriétaire, deux acheteurs s’affrontent. Lancées à 90 000 francs, les enchères montent. Finalement à 125 000 francs, madame Prosper Gouachet l’emporte sur son concurrent du Fret.
Le Paul-Georges vient donc au Conquet remplacer le Pierre-Marie, sloup borneur appartenant à la famille Gouachet de Molène.
Le bateau : coque en bois, BR 5556, 27.75 tx, armé au bornage pour les transports de marchandises, navigue à la voile avec le gréement classique des gabares : foc et trinquette, grand-voile et flèche. En l’absence de vent ou pour les manœuvres, un moteur Bolinder de 20 cv assure la propulsion du navire. Tandis qu’un treuil attelé à un moteur Bernard placé sur le pont permet à l’aide d’un mât de charge, l’embarquement et le débarquement des marchandises.
Le Bolinder sera remplacé plus tard par un Baudouin de 40 cv
Le Paul-Georges à l'échouage dans le port du Conquet (photo Burdin)

Le
Paul-Georges à l'échouage dans le port du Conquet (Photo Burdin 2)
L’équipage du Paul-Georges se compose de trois hommes, le patron et deux matelots. (Pendant longtemps : Prosper Gouachet, son frère et un matelot, parfois son fils).
La nourriture à bord alternait le lard-pommes de terre et le congre séché, préparé en ragoût.
Curieusement le patron Prosper Gouachet, n’habitait ni au port, ni même au Conquet, mais à Plougonvelin, bourg d’origine de madame Gouachet. Il faisait son trafic à vélo.
Le premier passage commercial du Paul-Georges au Conquet, eut lieu le 4 mai 1932, le sloup venait sur lest de Molène. Il est reparti avec 36 tonnes de sels de soude de l’usine Tissier, à destination de Brest.
Aux armements de 1939/40 : patron Prosper Gouachet, né en 1900.
Matelots : Charles Gouachet né en 1896 à Molène, Léon Le Bousse né en 1901 à Molène, Joseph Marie Lansonneur né en 1920 au Conquet. Salaires 1/3 au bateau 2/3 à l’équipage.
Jusqu’à son désarmement en 1953, la gabare a assuré des transports de marchandises, dans une zone comprise entre Audierne et Labervrac’h, bien que son rôle en 1938-39 lui autorise une navigation jusqu’à 65 milles du port d’attache (Le Conquet) : soit de l’île de Batz au nord, à Concarneau au sud.

Déchargement ou chargement, à l'échouage du Paul-Georges, dans un tombereau tiré par trois chevaux. On remarque que la "vergue de charge"
a remplacé la corne de la voile. (Collection JPC)
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Même scène que ci-dessus. Embarquement ou débarquement de sacs.
(Collection JPC)
Principaux déchargements au Conquet :
Soude brute des îles pour l’usine Tissier
Galets des îles et sables pour le bâtiment
Charbon en remport de Brest
Produits chimiques de Landerneau (acide sulfurique) pour l’usine Tissier
Exportations du Conquet :
Bois de chauffage pour les îles
Produits chimiques de l’usine Tissier (sels de soude) pour Brest et Landerneau
A noter un contrat en 1934 pour le désensablement du Port-Rhu à Douarnenez, le Paul-Georges ne rentrait au Conquet qu’en fin de semaine..
Pour exemple d’activité sur l’année 1933 :
Entrées au Conquet par le Paul-Georges
Sable, 1 voyage, 40 tonnes
Galets, 22 voyages, 885 tonnes (contrat pour la construction des batteries de Saint-Mathieu)
Soude brute, 8 voyages, 336 tonnes
Charbon, 11 voyages, 453 tonnes
Bétail, 1 voyage, 10 tonnes
Acide de Landerneau, 5 voyages, 114 tonnes
(Sur le quai à Landerneau, les manutentions de marchandises se faisaient par wagonnets sur rails, tirés par un cheval aveugle)
Sorties du Conquet par le Paul-Georges
Sels de soude, 2 voyages 80 tonnes
Touries vides, 2 voyages 10 tonnes
Bois pour les îles, 1 voyage, 20 tonnes
Le bateau dans l’année a fait d’autres voyages mais sans escale au Conquet, par exemple des voyages de goémon engrais entre Molène et Guipavas pour les besoins de l’agriculture. A noter aussi dans les rotations du Paul-Georges, des transports de moutons, de vaches ou de chevaux. Il y avait dans le pavois du sloup une portière que l’on ouvrait pour pousser les bêtes à l’eau, à peu de distance du rivage, qu’elles gagnaient à la nage.
Sa capacité de transport était de 40/45 tonnes pour les galets et charbon, de 55 tonnes pour la soude brute et les résidus de soude.
Gabare non identifiée, chargée de bois à feu dans le port du Conquet
Est-ce le Paul-Georges? (Carte postale)
Les proportions de chaque type de marchandises débarquées au Conquet variaient selon les années. Si un vapeur venait livrer directement au Conquet 200 ou 300 tonnes de charbon anglais, le nombre de voyage du Paul Georges pour aller en chercher au parc à charbon de Brest, diminuait d’autant.
Années de guerre :
Le mort du "Paul-Georges"... La gabare Paul-Georges, sloup à moteur appartenant à Prosper Gouachet de Plougonvelin est réquisitionnée le 26 janvier 1941 pour le service de l'armée allemande, aux transports de personnels et de marchandises entre Le Conquet, Brest, et Ouessant.
« Un jour, (récit recueilli auprès de madame Gouachet, femme de l'armateur), le bateau venait de quitter Saint-Christophe avec des marchandises. A son bord l'équipage habituel plus le soldat allemand de surveillance. Soudain des tirs d'armes automatiques venant d’un exercice en cours du côté du Cosquiès crépitent. Un projectile traverse le tableau arrière de la gabare. le soldat allemand assis à sa place habituelle s’écroule, la cuisse arrachée, blessé à mort. Eclaboussés de sang, les marins du Paul-Georges reviennent à quai où, ils sont d'abord arrêtés comme présumés coupables de meurtre. L’enquête révèle rapidement que le soldat a été tué par des tirs d'exercices de l'armée allemande.
(Une note aux archives municipales concernant la fin de la réquisition du Paul-Georges et une demande d'indemnisation pour réparations à faire au bateau, permet de situer cet évènement dans la deuxième semaine d'avril 1941.)

Le Paul-Georges
sous réquisition allemande, avec un soldat allemand en surveillance, assis sur la lisse du tableau arrière (milieu).
Coll. Madame Gouachet.
Une version un peu différente est racontée par des témoins conquétois dont Jean Goaster, « le bateau venait de quitter le quai quand des soldats, qui peut-être avaient loupé l'appareillage, ont tiré autour du sloup pour attirer l'attention du patron et le faire revenir à la cale, un projectile a atteint l'Allemand à bord du Paul-Georges. Quand le soldat a été débarqué, il était toujours vivant mais perdait beaucoup de sang. Faute de soins immédiats, il est mort là, sur le quai, d'hémorragie. »
Autre anecdote, sans date. Après un mitraillage du Paul-Georges sous pavillon allemand, par des avions anglais, madame Gouachet s’est rendue, courant de grands risques, à la Kommandantur de Beauséjour et a obtenu du commandant allemand de la place, que le bateau puisse naviguer sans le pavillon à croix gammée.
Ci-dessus, pendant l'occupation, le Paul-Georges à l'échouage avec à bord deux soldats allemands en uniformes.
Collection Loïc Malgorn - Ouessant.
Après la Libération, l’activité du Paul-Georges s’est réduite à la pêche du sable, soit à l’entrée de Laberildut (sable blanc pour le bâtiment), soit sur le banc du Minou (sable jaune pour amender les champs)
A bord du Paul-Georges en 1947
Quelques dames de la famille du patron font le voyage vers Molène,
en compagnie de monsieur Lefèvre ingénieur de l'usine Tissier et d'un de ses collègues, qui vont évaluer la qualité des goémons de l'année et les espoirs de récolte.
Photo, collection madame Gouachet.

Peut-être à la même époque, une photo de l'équipage du Paul-Georges accompagné d'un enfant
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Le Paul-Georges embossé à Saint-Christophe. A l'origine la coque était peinte en totalité "vert-anglais", avec à la flottaison une bande blanche, puis une ligne rouge entre la coque et la lisse, et un liston blanc.
Carte postale Jos Le Doaré, vers 1950
Désarmé en 1953, le Paul-Georges a été acquis par Charles Pavot d’Argenton, en mai 1956, pour le transport du goémon..
JPC, janvier 2010