J'ai fait paraître dans le dernier bulletin municipal du Conquet une version abrégée
de celle qui suit.
Charles Lombard.
Soldat de la République
Rien ne le prédestinait à venir s’installer un jour au Conquet et encore moins à en devenir le premier magistrat, puisque né le 20 août 1773 à Dampierre sous Salon dans la Haute-Saône (nord-nord-ouest de Besançon), fils de Jean François Régis Lombard, commis aux journaux et de Jeanne Françoise Sauvageot son épouse. Parrain Charles Sauvageot, avocat au parlement et marraine Joséphine Daubigny.
A 18 ans ½, le 4 février 1792, il s’engage dans les armées de la République, incorporé dans l’infanterie au 89e Régiment de ligne. Le 20 septembre il a son baptême du feu à la célèbre bataille du moulin de Valmy, les généraux Dumouriez et Kellermann repoussent les Prussiens du duc de Brunswick, l’invasion de la France est stoppée.
Lombard a la spécialité de fourrier quand la France entre à nouveau en guerre le 10 février 1793. Passé au 16e bataillon d’infanterie de ligne en mai, il est nommé caporal-fourrier le 11 juin 1793, puis sergent-major le 3 août.
-Adjudant-Sous-lieutenant, 30 janvier 1794 (11 pluviôse an II)
-Lieutenant, 1er septembre 1795 (15 frimaire an III)
-Capitaine – Adjudant-major, 23 septembre 1795 (1er vendémiaire an IV)
Il est toujours dans l’infanterie, et dans le sillage du général Lazare Hoche . Après avoir servi dans l’armée du Rhin, il combattra les Vendéens et les Chouans jusqu’à leur défaite et c’est dans l’armée de l’Océan qu’il va participer à la désastreuse expédition d’Irlande. 45 bâtiments et 15 000 hommes quittent Brest le 16 décembre 1796, Morard de Galles est chef d’escadre et Hoche commande les troupes de débarquement. D’entrée le vaisseau le Séduisant se perd sur l’île de Sein, provoquant la mort d’un millier de marins et soldats. L’escadre n’ayant pu débarquer à Bantry, mais ayant subi des pertes sérieuses, rentre à Brest à la fin du mois. Pour l’anecdote, une embarcation du vaisseau La Résolue a fait côte en Irlande, conservée précieusement par un riverain, puis confiée à un musée, la « yole de Bantry » a servi de modèle en 1980 aux yoles Fraternité et Amitié, et depuis à de nombreux canots similaires, présents aux fêtes du patrimoine maritime.
A Brest, Hoche récupère ses régiments d’infanterie, dont celui ou sert Charles Lombard et les incorpore en février 1797 dans l’armée de Sambre-et-Meuse dont il a été nommé général en chef. Revoilà Charles Lombard sur les frontières du nord-est. Pas pour longtemps, en l’an VI, il est repassé dans l’armée de l’Océan, puis dans l’armée d’Angleterre en l’an VII et dans l’armée de l’Ouest, an IX et an X.
Sans doute en garnison à Brest, il épouse le 20 nivôse an XI (10 janvier 1803) à Recouvrance, Rose-Marie-Pélagie Le Hir, fille de François Le Hir et de Marie-Michelle Marzin. Un garçon né le 24 frimaire an XII (15 décembre 1803) est prénommé Marc-Marie-François Charles. Signent comme témoins, Joseph-Marie Kerros, négociant à Recouvrance et Marc-Yves Marzin, oncle maternel, aussi de Recouvrance.
Le capitaine de l’empire : Depuis sa nomination au grade de capitaine en 1795, et jusqu’à son départ en retraite, Charles Lombard ne change plus de grade.
Capitaine au bataillon de Belle-Isle-en-Mer il est absent lors de la naissance de sa fille Justine-Marie le 24 octobre 1811, toujours à Recouvrance. Il se fait représenter par François-Marie Le Bihan pilote de l’Etat. Les témoins pour l’état-civil sont Pierre-Marie Richard, négociant à Brest, cousin germain de la mère de l’enfant et Pierre Floch, marchand au Conquet, bienveillant. La fillette seulement âgée de 14 ans, décèdera au Conquet le 27 décembre 1825.
Dans le tourbillon des guerres napoléoniennes, notre capitaine servira, au régiment de Belle-Isle devenu le 36e régiment d’infanterie légère, dans les armées de Pologne et de Russie.
Le 36e léger se trouve en 1812 en réserve dans différentes places-fortes entre le Rhin et le Niemen, avant d’être engagé dans la bataille de Leipzig, 16-19 octobre 1813, défaite française, mais où sans doute Lombard a été promu chevalier de la « Légion d’honneur ».
Ralliement aux Bourbons.
L’empereur Napoléon 1er capitule en 1814, de nombreux régiments se rallient à Louis XVIII qui réorganise l’armée. Charles Lombard conserve son grade de capitaine au nouveau 14e régiment d’infanterie légère formé à Bastia. Il affronte alors sous la « bannière des lys » l’insurrection bonapartiste corse et y gagne les insignes de « chevalier de l’Ordre royal de Saint-Louis ».
Capitaine de carabiniers il met fin à sa carrière militaire le 1er septembre 1815, il va toucher la ½ solde des militaires retraités et conserver sa Légion d’honneur, validée par un serment prononcé au Conquet le 1er septembre 1816 : « Je jure d’être fidèle au Roi, à l’honneur et à la patrie … et faire tout ce qui est du devoir d’un brave et loyal Chevalier de la Légion d’honneur ». Suit la signature caractéristique des francs-maçons avec les trois points.
Charles Lombard, retraité conquétois puis maire de la cité.
Il s’installe au Conquet en 1816 avec sa femme, Rose Marie Pélagie Le Hir et ses deux enfants aînés. Marc-Marie en 1823 est élève en pharmacie à Brest. Une seconde fille, Rose-Françoise Félicité, naîtra au Conquet le 22 juillet 1824 dans la maison achetée en 1819 (240 francs), sur le quai du Drellac’h, maison à escalier extérieur (N°23).
Témoins pour l’état-civil, Désiré-Louis-Marie Jacolot, 27 ans, notaire royal, et Augustin-Gabriel-Mauguet de la Sablonnière, 60 ans, inspecteur des signaux.
En 1832, c’est lui qui est tout naturellement choisi comme capitaine de la garde nationale du Conquet. Le préfet le désigne comme maire en 1837. La population est recensée à 1 273 habitants. La mairie est toujours au 5 rue Saint-Christophe.
Lombard est aux premières loges, puisqu’il habite sur le quai quand les cales du Drellac’h en construction depuis 1836 et pas encore terminées, sont détruites par une violente houle conjuguée à la grande marée dans la nuit du 24 au 25 février 1838. Il ne reste plus qu’à les reconstruire. L’Etat en profite pour acheter afin de les raser deux des trois magasins, celui de Mazé-Launay (1839) et celui de Bourc’his (1840) qui bordaient encore la partie Est du Drellac’h dans le prolongement de la cale amont, et les deux maisons Le Coat (1845) parcelles 295-296, au-dessus de la cale aval.
Dessin d’Ernest Le Guerrannic, (détail). Le quai est presque terminé, il reste à l’Etat à acheter pour le démolir le magasin de madame veuve de Bergevin, (parcelle 297), au premier plan à gauche qui cache la maison de Lombard. (Je me suis trompé en écrivant Bourc’his en légende du bulletin municipal). Cela ne sera effectif qu’en 1868, le bâtiment de 98 m² appartient alors à Gustave Félix Marie Briot de la Mollerie, lieutenant de cavalerie au 5e Dragon en garnison à Lunéville. L’affaire se fait pour 500 francs.
Le quai fini, les petits navires de commerce pourront plus facilement manutentionner leurs marchandises en accostant le long des cales.
La municipalité qui manque toujours autant de ressources pour venir en aide aux nombreux malheureux du Conquet pense alors à ouvrir de nouvelles carrières de pierres plates (schistes), dans les terrains incultes de Pors-Feunteun (Le Bilou) et de Portez qui lui appartiennent. Double but : faire entrer de l’argent pour subvenir aux besoins des pauvres en vendant les pierres aux communes environnantes et fournir du travail aux carriers qui seront payés pour les pierres de 25 cm à 1,25 m, un centime par pièce ou un franc par cent et pour celles de 1,25 m et au-dessus, deux centimes par pièce. On accusera plus tard les carriers d’avoir complètement détruit le relief rocheux naturel prolongeant en mer la pointe Sainte-Barbe et offrant au Conquet un rempart contre la houle de sud-ouest.
Un certain flottement marquera la fin de son mandat, il est souvent malade, c’est son adjoint Louis Marie Jacolot, notaire, qui gère les affaires courantes. Lombard laisse la mairie en 1843 à Jean Marie Le Guerrannic (fils).
Retiré des soucis municipaux, Charles Lombard se signale quelques années plus tard, début septembre 1848, en devenant le premier président de la Société Littéraire du Conquet, fondée par lui-même et quelques notables locaux : Tissier aîné, (manufacturier), Le Roy (notaire), Blanchard (médecin), Marchand Patrice-Michel, buraliste et ancien lieutenant de vaisseau, (chevalier de la Légion d’Honneur), Rigollet (négociant), Penfrat (propriétaire), et Gloaguen recteur, et qui a pour unique but la lecture, toute discussion politique y étant interdite (cela peut se comprendre, nous sommes dans les débuts difficiles de la Seconde République).
Charles Lombard est mort le 3 décembre 1851 en son domicile du Drellac’h, à l’âge de 78 ans. Deux Conquétois, Victor Thomas, sous-commissaire de la Marine et Louis-Félix-Marie Penfrat, capitaine de commerce font la déclaration à l’état-civil. Son épouse Rose-Marie lui survivra trois ans, « propriétaire », elle décédera (70 ans), le 5 décembre 1854, Martial Kéruzoré, maître de port et Joseph-Louis Massé, médecin ont signé le registre municipal.
La maison et le jardin Lombard sont ensuite la propriété de mademoiselle Richard qui en 1858 et en 1867, la loue aux Ponts et Chaussées pour le service des phares. En 1882, le bien est noté propriétaire Cloatre.
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JPC / Janvier 2013